Le tintamarre intérieur (77)

Le premier jour

La nouvelle de la mort de la femme du maire se répandit dès le début de la matinée. Je reçus plusieurs visites. Ma mère, que la rumeur avait instruite, vint aussitôt, déposée par un voisin, m’informa que mes sœurs avaient été mises au courant et me posa une question:

– Pourquoi, si tu l’as tant aimée, as-tu tant attendu pour t’en rendre compte?

– Je sais, Maman. De l’extérieur cette histoire n’a ni queue ni tête.

– C’est à cause d’elle que tu t’es séparé?

– Non Maman. Cousin cousine. Ce n’est pas à cause de ça que Chiara et moi nous nous sommes séparés. Elle te l’a dit elle-même.

– Et maintenant mon petit-fils et sa fille vont avoir un petit!

J’avais sommeil. Je me suis assoupi quelques minutes, la tête enfouie dans les bras posés sur la table. Les visites ont repris alors que je venais, sur les objurgations de ma mère, de m’asseoir  dans un fauteuil. Puis enfin Alexandre et Anne-Lou sont arrivés. Il a fallu raconter. Je n’ai rien dit sur la piqûre. Il y avait trop de va-et-vient. Anne-Lou m’a annoncé que son frère atterrirait à Marseille en fin de journée. Elle ne savait pas s’il arriverait dans la soirée en Terre-Adélie. Il devait téléphoner.

Alexandre et Anne-Lou ont rapidement pris l’intendance en charge. L’entreprise de pompes funèbres est passée. Il fallait tout coordonner. Je me suis senti à la fois soulagé et dépossédé. La fatigue me rattrapait; tout le monde pensait que c’était le chagrin. Anne-Lou, inquiète, me regardait à la dérobée comme si j’allais moi aussi mourir. Je me suis rendu compte à quel point elle ressemblait à sa mère. Cette ressemblance ne me faisait pas plaisir. (Cette réflexion manquait de grandeur.)

Et la journée s’est passée ainsi.

J’ai dormi deux heures dans l’après-midi. En me réveillant, j’avais le sentiment d’avoir trahi la morte. Mes deux sœurs étaient arrivées. Elles s’installeraient à Gallargues. Je me rappelais la mort de mon père, la mort d’Adélie. Cette fois, on racontait peu d’anecdotes qu’en réalité, j’étais le seul à connaître. Les gens du village passaient, me plaignaient et faute de mieux, soulignaient son courage. Chiara m’appela au téléphone. La ligne était mauvaise. J’eus de la peine à reconnaître sa voix et je dus faire un effort d’attention car elle me parlait en italien parmi les crachouillis. Après l’insupportable solitude de la nuit, c’était l’insupportable trop-plein de la première journée de deuil. Nicolas Muret arriverait vers minuit. Peu à peu le monde se retira. Ainsi s’acheva le mardi 20 août 2002, premier jour sur Terre de l’ère sans Cécilia Maillart.