La vie après la mort (IV)
Bréhec pour le vain oubli
Il y eut le cimetière, la dernière fleur, la terre pelletée, le retour à l’hôtel, le repas familial, les souvenirs évoqués. Aussitôt rentré en Terre-Adélie, j’ai voulu prendre la fuite. J’ai appelé Alexandre pour lui demander si je pouvais passer quelques jours à Bréhec. Cécilia Maillart n’était jamais allée à Bréhec. J’espérais qu’un lieu sans elle m’apaiserait.
J’aime les grandes marées, j’aime l’estran, ces ciels bretons soudain changeants. J’aime aussi ma Méditerranée immobile, l’éclat du ciel sous le soleil, la tiédeur de l’eau. Mais j’espérais que de grandes promenades solitaires me laveraient de tout ce dont je me sentais sali. Je me promettais des orgies de fruits de mer et de poisson. Je voulais dormir, aussi.
Naturellement ce ne fut ni l’un ni l’autre, ni cet ailleurs sans elle ni elle partout, ni l’apaisement ni l’épuisement, ni l’oubli ni le souvenir. Dans le vent qui emportait mes paroles, je déclamais un poème de Toulet que j’ai toujours aimé. Sur le sable, j’ai gravé les deux derniers vers et la marée les a effacés. Je garde mal les voix. Je perdais déjà celle de Cécilia Maillart. Ce n’était pas dans l’oreille mais dans le cœur que j’avais enregistrés des messages d’elle pour l’enfant à naître, son petit-enfant, le mien, le sien. Le mot n’existe pas car on n’en connaît que le pluriel. Elle n’en connaîtrait même pas le singulier.
Je marchais des heures sans plus espérer que l’épuisement physique me faciliterait le sommeil. Tous les jours mon portable sonnait. On me demandait si ça allait. Très bien, merci. On, c’étaient les enfants, Umberto aussi (il proposa de me rejoindre et passa quarante-huit heures avec moi avec sa nouvelle compagne), ma mère, Charles Brunel, mes sœurs, mes neveux, mes nièces, deux ou trois collègues, tous unanimes. C’était une bonne idée de prendre un peu de recul. Changer d’air. Se changer les idées.
Où était l’erreur? Les uchronies me terrifiaient, à présent. Si seulement… J’accélérais le pas pour distancer ces pensées néfastes. Mais les draps dans lesquels je finissais par me glisser étaient blancs, blancs comme les nuages, les merveilleux nuages qui couraient par-dessus la falaise, comme des suaires, comme la couleur du deuil dans certains pays, comme les draps des fantômes. Le lendemain matin, je suis allé acheter une paire de draps joyeux, tout colorés. Pourquoi mon fils n’aimait-il que les draps blancs? Il y a tant de choses qu’on ne sait pas des gens qu’on aime le plus. J’ai repris les draps d’arlequin en fermant la maison. Il fallait rentrer.