Le feuilleton présente

La Terre-Adélie
un roman de Jean Rebuffat

Avant-propos

Imminence du silence


Dieu a sagement agi en plaçant la naissance avant la mort. Sans ça, que saurait-on de la vie? (Alphonse Allais)

Pour Thomas, mon fils, en ce 3 août 2017

À quoi bon ces vieilles histoires? Au départ, je voulais juste nous raconter, elle et moi, poussé par une part de justification et sans doute bien d’autres ressorts inconscients. La plupart des gens se taisent. Leur tintamarre intérieur est inaudible. L’entendent-ils eux-mêmes? Ont-ils décidé d’être sourds? Les doutes, les interrogations, les interactions, tout ce qui nous bouleverse et nous façonne, le sens du devoir, les exigences de l’amour, les nécessités de la vie, bref la vie elle-même résonne pourtant dans nos têtes tellement fort, même quand de l’extérieur, rien n’y paraît… Nous sommes des masques. Nos sourires cachent des grimaces et nos paroles, des pensées inavouables. De temps en temps une éruption soudaine crache la lave de sentiments que nous croyions maîtrisés. Parfois des séismes inattendus dérangent les certitudes calmes du quotidien.

Cela m’est arrivé, plusieurs fois, et tu verras le rapport avec toi. Je me demande si la prochaine tombe est pour moi, comme c’est possible puisque je me trouve dans l’année de mes soixante-dix ans. Je ne suis plus grand-chose déjà. Toute vie ressort de l’apocope, certaines plus que d’autres. Ce que tu vas lire ne sont que des mots; il y a même une partie romancée, j’ai bien dû compléter. Pour cela et pour tout le reste, j’ai éprouvé beaucoup de peine, dans tous les sens du mot. Ah, petit, de l’extérieur, quelle réussite! Mais c’est paille qui volette au vent et je prends ma récente défaite aux élections législatives comme une parfaite métaphore de la déroute inévitable. On me gomme du paysage. Passé, dépassé, tant pis; à présent l’avenir qui compte c’est le tien. L’imminence du silence m’y contraint, tu as droit à ton histoire, commencée voici longtemps par des choses et avec des gens qui ne te concernent qu’indirectement. C’est pour cela que j’ai placé d’abord ce que ta hâte de savoir devrait rechercher d’abord. Je confie tout ceci à ton grand frère et à sa femme. S’ils le veulent, qu’ils y ajoutent quelque chose mais surtout, qu’il ne soustraient rien. La partie principale, celle que j’ai écrite en premier lieu, est titrée Le Tintamarre intérieur. Mais tu verras, il y en a d’autres.

J’espère seulement que tu sauras prendre tes distances avec ces récits dont tu ne pourras plus interroger les fantômes. Même le mien. Et que tu nous pardonneras, à tous, nos errances et nos erreurs.