Je me suis remis très vite. Je faisais un très mauvais moribond, plaisanta Anne-Lou. Elle était là tout le temps. Alexandre, trêve du championnat terminée, était parti en stage. Je l’ai fait parler, d’elle, d’Alexandre, de Cécilia Maillart. J’ai appris sur elle des choses, menues ou importantes, que je ne savais ni ne soupçonnais. Je lui ai fait part de mes cauchemars.
– Alors c’est pour ça, cet infar? C’est stupide. Dans l’enveloppe de Van Damme, il y avait une lettre de Maman dans laquelle elle revendique clairement sa décision et son acte. Elle a dû penser que si jamais tu avais des ennuis, cette lettre te protégerait.
– Elle ne m’en a jamais parlé!
– Personne ne t’embêtera jamais, Thomas, je te le promets. Et on s’en fout, d’un mensonge, si c’est pour la bonne cause. Tu crois que je ne mens jamais? Je mens tout le temps! Je fais même semblant d’aimer le foot! Mais ça, si tu le lui dis, à ton fils, je te jure, je t’étripe! Et bien plus que sur un millimètre, comme ta cicatrice cardiaque!…
Je suis sorti de l’hôpital avec une mentalité de survivant. On m’avait autorisé de courtes promenades. Mais le froid me serrait un peu le cœur. Je regardais tout avec un regard neuf. Je formai le projet d’écrire l’histoire de Cécilia Maillart et de Thomas Vignol.
Bientôt, vous pourrez acheter « La Terre-Adélie » en édition complète, sur papier, comme le roman de Boussingault, « L’apaisement », tout frais sorti de presse. Nous sommes heureux, au Feuilleton, de noter le succès de cette édition papier. Mais rassurez-vous, il y en aura pour tout le monde…
Pour en revenir à la « Terre-Adélie », cela a l’air fini mais ça ne l’est pas. Il y a plusieurs épilogues… Avant de les découvrir, je vous conseille de relire le tout. Dès ce week-end, la seconde partie, « Le tintamarre intérieur », sera collationnée et illustrée, comme « Imminence du silence » et la première partie, « Les désarrois du pélican ».
Avant même que le bateau eut fini d’accoster, Pujols en descendit en trois bonds. L’âge n’avait pas encore entamé sa robuste constitution et il effectua sa réception d’un jarret assuré. Carles, qui le secondait en tout occasion, l’attendait comme prévu sur le quai. Les deux hommes se saluèrent d’une cordiale accolade, échangèrent quelques mots et prirent chacun une direction différente.
Carles se dirigea vers le bateau et, au fur et à mesure que les émigrants en descendaient, les fit s’attrouper un peu à l’écart. Quand tous furent descendus, il leur expliqua qu’il s’agissait en premier lieu de les amener aux baraquements. Là, on leur donnerait le gîte, une collation et ils pourraient commencer à chercher du travail. On cherchait des pêcheurs, des maraîchers, des manœuvres habiles à manier la pelle et la brouette, enfin des maçons et des tailleurs de pierre ; les femmes s’occuperaient des tâches domestiques.
Quant à Pujols, visiblement très contrarié par la conversation, il prit directement le chemin de la porte Bab Azoun. Carles venait de lui annoncer que les instructions qu’il avait laissées à son départ n’avaient pas été scrupuleusement suivies. C’était une entorse à son autorité qu’il ne pouvait tolérer. Cependant, lorsqu’il eut franchi la porte qui donnait hors les remparts, il composa une tête avenante et un sourire de façade : il était maintenant dans son royaume et, en bon monarque, se devait d’accueillir avec bonhomie les marques de déférence qu’on lui accordait. Partout les gens le voyaient, le saluaient, venaient lui toucher les mains. D’un air affable, il prenait des nouvelles, donnait des instructions, il semblait connaître et être connu de tout le monde.
Quelques minutes plus tard, secondé par deux colosses qui étaient restés debout derrière lui, il était assis à la table de sa baraque lorsque six jeunes types y entrèrent, l’air contrit. Le Senyor Pujols leur demanda d’une voix sèche lequel d’entre eux avait convaincu les autres de travailler pour La Gouse. Comme aucun ne répondait, il reposa la question en haussant le ton. Il vit un doigt qui désignait le plus petit d’entre eux, un type de Figuières dont la tête ne lui était jamais revenue. « C’est mon droit, balbutia le petit homme, c’était mon droit. On a le droit de travailler pour qui on veut ! On nous a dit qu’on aurait double paye. »
Pujols regarda l’homme dans le blanc des yeux et se leva de sa chaise. « Des droits ? Le droit de quoi d’abord ? Le droit d’accepter n’importe quel travail, à n’importe quel prix ? Le droit de rompre les principes de solidarité ? Le droit de se faire exploiter ? » Tout à coup, Pujols se mit à hurler. « J’avais donné des instructions, dix sur le chantier, maximum. Si ce clampin de Français voulait des bras, il devait venir ici, et négocier ! Double paye, la belle affaire, c’est trois fois plus que je voulais demander ! Pour vous ! C’est pour cette raison que je suis parti, pour le faire patienter un peu, qu’il soit mûr ! Et vous, oiseaux sans cervelles, vous foutez tout par terre. Vous étiez prévenus ! Alors vous cinq, vous disparaissez, avec vos familles, vos frusques, votre bêtise… Vous ne me devez rien mais je ne veux plus vous voir ! Il y a de la place à Bab-el-Oued pour des balourds de votre genre. Quant à toi, Salvador, tu connaissais le tarif ! Maintenant, vous cinq, foutez le camp, dégagez avec vos greluches et votre marmaille, dehors ! »
Les cinq hommes déguerpirent sans demander leur reste. Ne restaient plus maintenant dans la baraque que Pujols, ses deux sbires et le petit homme qui tripotait nerveusement sa casquette en velours. Pujols se dirigea vers la porte, passant si près de lui qu’il manqua de l’effleurer. L’homme fit un petit geste de recul, épouvanté. Pujols s’arrêta sur le seuil et se retourna. « Vous lui cassez les deux bras, dit-il à ses lieutenants, puis vous me foutez ça dans la première barque, débarquez-moi ça à Oran, je ne veux plus en entendre parler. Et vous vous arrangez pour que ce Dejazet sache que je suis revenu. Qu’il vienne ici, on va pouvoir causer affaires. »
La suite lundi, dans un nouveau chapitre.
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