Chapitre huit : un frais souffle d’air (3/5)

Troisième épisode

Comme un nouveau départ

D’un coup de sifflet bref, la petite colonne de déportés se mit en marche, en rang par deux, escortée par des gendarmes. Mécanique, elle longea le quai. Une foule épaisse était massée tout le long du parcours, ne s’écartant du passage que sur les ordres des soldats. Des cris s’en échappaient : « allez les gars, vive la révolution » et les prisonniers échangèrent des sourires complices avec leurs partisans. Mais ce qui frappa singulièrement Dubois était la présence des Arabes, dilués dans la foule. Impassibles, ils regardaient la scène comme on voit couler un fleuve ; des femmes masquées et voilées, au port hiératique, participaient à cette étrangeté. Au bout du quai, Dubois avait croisé le regard d’une d’elles, qui avait les yeux d’un bleu si profond qu’ils lui semblèrent violets. Zélie aussi avait le même regard, mais cela ne pouvait être elle. Impossible !

De toutes façons, Dubois ne pouvait y croire, même si son amante lui avait promis qu’elle le suivrait jusqu’au bout du monde, comment aurait-elle pu arriver là, et pour se déguiser de la sorte ? Ce n’était pas le moment de penser au passé : son histoire avec Zélie était morte et enterrée, il fallait passer à quelque chose d’autre ; il était plus sage d’éviter de regarder cette foule et de s’intéresser au décor.

Mais comment ? Dubois n’avait cessé de jeter ses regards vers la ville, en contre-haut. Il n’en voyait quasiment rien, du fait de la disposition particulière du port, qui semblait un étroit ponton disposé latéralement au pied d’une falaise. À deux reprises, il heurta la personne qui se trouvait devant lui, car, regardant ailleurs, il n’avait pas anticipé un des soubresauts du cortège. Il fut ramené à sa triste condition par deux coups de crosse dans le bas des côtes.

Bientôt, on arriva au pied d’un escalier qui montait droit vers la ville. On progressa encore d’une centaine de mètres lorsque la petite colonne s’arrêta définitivement au milieu d’une place. S’y trouvait un civil en bicorne, secondé par un cavalier superbement habillé, lequel était accompagné par une petite escouade de lanciers vêtus à l’orientale, montés sur des petits chevaux blancs. On fit disposer la colonne en demi-cercle autour de l’homme en civil.

« Messieurs, dit-il aux prisonniers, je suis votre préfet… Dans sa générosité, la France vous offre une seconde chance ! Les raisons pour lesquelles vous fûtes condamnés ne me regardent pas et ne vous vaudront jamais ma désapprobation. À vrai dire, le passé m’importe peu… La France compte maintenant trois départements de plus. Tout est à y faire : il n’y a rien ou presque : pas d’administration, pas d’infrastructure, pas ou peu d’habitants, encore moins de Français. En quelque sorte, nous apportons les lumières de la civilisation dans une contrée barbare et dépeuplée. Or pour accomplir cette mission sacrée, il est besoin de certaines compétences. C’est cette cause qui m’amène à vous accueillir ici, en ce jour. Seul le futur m’intéresse ! La grande entreprise qui verra la transformation d’un port barbaresque en une grande cité portuaire, dans cette baie qui est le sourire de l’Afrique ! Ah, mes amis, voici ce que je vous propose : de participer à ce grand chantier. Donc, monsieur le commissaire ici présent va procéder à l’appel de vos noms. Lorsque vous entendez le vôtre, vous vous dirigerez vers la direction qu’on vous signale. Là, on vous indiquera la tâche qui sera vôtre : maçonnerie, charpente, je crois que nous avons même un futur chef-coq dans notre compagnie ! Il va sans dire que nous apprécierons chaque manifestation de bonne volonté et qu’à l’inverse… enfin, nous nous sommes bien compris. »

La suite demain, dans un nouvel épisode.