Chapitre huit : Un frais souffle d’air (4/5)

Quatrième épisode

Pas un ne bouge

Pas un n’avait bougé. Dubois pas plus qu’un autre. Lorsqu’il avait entendu l’appel de son nom, il s’était raidi dans une posture arrogante et c’était tout. Le préfet fit appeler à nouveau, sans plus de succès. « Il suffit, dit-il, cette mascarade a assez duré. Il faut briser cette volonté de fer, séparez-les ! Que ceux qui ont leur nom cité soient amenés là où on les destinait, quant aux autres, fichez-les à la caserne en attente de les transférer. Les rations sont réduites au minimum, pour tous. Allez ! »

Sans ménagement, Dubois et certains de ses camarades furent tirés du rang. La Marseillaise se fit entendre, sans aucun effet sur les gendarmes que de les rendre plus brutaux. Le jeune homme fut amené devant le militaire à cheval. « Monsieur, lui dit celui-ci, je me nomme Mussé de Lantrac, colonel de l’armée française, j’ai ordre de vous amener à son excellence Monsieur le Procureur-général, qui souhaite s’entretenir avec vous, je vous prierai donc de m’accompagner sans esclandre… À défaut, vous conserverez vos chaînes.
– Il ne peut être question pour moi d’obtempérer répondit Dubois d’une voix peu assurée, les chaînes ne me gênent pas. J’y suis maintenant accoutumé…
– Je vois, fit Lantrac, nous avons affaire à une forte tête, j’aime cela. Eh bien vous autres, emparez-vous de lui. Dépêchons, monsieur le Procureur-général nous attend. »

Quelques minutes plus tard, Dubois fut introduit dans le bureau du Procureur-général. Celui-ci l’accueillit avec bonhomie, s’indigna des chaînes qui entravaient sa marche et les fit enlever. Puis déclara à Dubois que les conditions d’un entretien paisible lui semblaient maintenant réunies.

«  Voyez-vous, poursuivit-il, vous avez bien de la chance : votre père, qui est aussi un glorieux soldat, a su nous présenter la cause de votre conduite sous un jour favorable, si bien que l’autorité que je représente ici pense qu’il est juste de revoir votre condition, pour autant que vous acceptiez le marché que je vais vous proposer, bien entendu… Voyez-vous, jeune homme, tout est à faire ici et les bras manquent. Et quand je dis que tout est à faire, figurez-vous qu’il manque à Alger certaines infrastructures essentielles. Enfin bref, je vais au but : il y a ici un chantier très important qui s’achève et nous avons pensé, vu votre métier, que vous pourriez accepter d’y participer…
– Ai-je le choix ?
– Laissez-moi terminer, jeune homme, je répondrai à toutes vos questions par la suite. Mais avant tout, permettez-moi de vous préciser une chose : je ne suis pas homme à me satisfaire d’un refus. Et vous devez savoir que votre sort dépend de votre réponse, mais également celui de vos compagnons. Me suis-je fait bien comprendre ? Vous n’avez qu’un mot à dire et vous serez rendus à l’armée. Vous serez tous affectés à des travaux de fortifications.. Vous serez bien entendus entravés et, comment dire, eh bien disons que vous aurez tellement faim et soif, vous et vos semblables, qu’une mort rapide vous attend. C’est que voyez-vous, nos ressources sont limitées et nous devons faire des choix dans leur distribution.
– J’ai compris répondit Dubois. Je suis contraint et forcé mais j’accepte.
– Bien, bien, je vois que vous commencez à réfléchir, c’est bien. Je vais faire avertir Monsieur Dejazet que nous disposons à présent d’un futur maître queux. Vous pouvez disposer, jeune homme, je crois que votre père sera satisfait de savoir que vous êtes à présent rendu à la raison… Vous pouvez disposer, vous êtes libre, on viendra vous quérir dans l’antichambre. »

La suite demain, dans un nouvel épisode.