Chapitre huit : un frais souffle d’air (2/5)

Deuxième épisode

la gloire de partricot

La nuit avait été pénible. Les argousins avaient refoulé les transportés à fond de cale sans le moindre ménagement. Ensuite on était venu les chercher les uns après les autres pour les mettre aux fers.

Un premier prisonnier était parti en héros. Il était revenu quelques minutes plus tard, alourdi et cliquetant. « Les masques tombent, il avait hurlé, enfin ! », comme s’il était content du durcissement de son sort. Le même s’était ensuite tourné vers Dubois. « On nous traite comme des galériens, comme sous l’ancien temps, voilà le vrai visage de ce régime.» Il avait entonné l’hymne mais personne n’avait relayé la Marseillaise : un coup de crosse dans le ventre l’avait fait cesser et avait fait réfléchir les autres. Lorsqu’il avait voulu se relever, il s’était vu intimer l’ordre de rester à genoux. Il était resté comme reste un chien en laisse aux pieds de son gardien.

Les menottes étaient composées d’une chaîne de fer d’un mètre environ, dont les maillons aplatis formaient un profil en croix, qui empêcheraient la libre course des bracelets. Dubois admira presque le savoir-faire du forçat qui les lui installa, un type maigre et chauve, brûlé par le soleil, qui était affecté au service du navire et dont on ne savait rien. Après l’avoir toisé l’espace d’un instant, ainsi que fait le tailleur expérimenté, il était allé dépendre la chaîne et les entraves qui convenaient à la taille d’Hippolyte (aussi grand que grêle). Puis il avait fait un geste du doigt et le camarade Polyte s’était vu propulsé devant lui. Le forçat ne l’avait pas regardé, pourtant, il avait refermé avec beaucoup de délicatesse les deux parties mobiles qui enserraient la cheville, avant d’insérer le dispositif de blocage, de faire passer la chaîne dans la croix et de relier entre elles les deux bouts de la chaîne par un cadenas.

C’était tout : le type avait fait un geste et Dubois s’était senti poussé vers l’avant – il avait failli s’étaler de tout son long (vous vous verriez, vous, avec dix kilogrammes aux bout des cannes ?). Il était allé prendre sa place – s’asseoir au milieu des autres – avec une démarche de canard ivre. Le bateau tanguait à peine : c’est donc très sûrement à l’odeur nauséabonde qui régnait en fond de cale qu’il dut d’être malade. Il vomit à côté de lui deux jets jaunâtres, qu’il préféra essuyer du revers de la manche lorsqu’il fallut s’étendre.

Le lendemain, on les fit mettre en rang, deux par deux. Le bastingage était ouvert sur une planche qui reliait le bateau au quai. Trop étroite, elle ne permettait le passage que d’un seul prisonnier à la fois. Arrivé sur le quai, le couple fut reformé.

Mais au contraire de la veille, Dubois ne fit pas attention à la manière dont on le liait à son compagnon d’infortune. Il était comme absent, absorbé dans ses pensées. Comme s’il était privé de l’ouïe, du toucher, de l’odorat, du goût. Comme si sa seule activité sensuelle consistait à fixer dans son cerveau l’image terrifiante du gendarme Partricot, chasseur qui posait en triomphe, à ses pieds le cadavre de l’homme qu’il avait tué la veille.

La suite demain, dans un nouvel épisode.