Chapitre huit : Un frais souffle d’air (1/5)

Premier épisode

L’incident de la veille

Lorsqu’il posa le pied sur le quai du port d’Alger, Hippolyte Dubois sentit un courant d’air frais lui parcourir la nuque. Le cortège s’arrêta. Le jeune homme ajusta sa casquette du plat de la main et se redressa. Il était au quatrième échelon du rang, si fait qu’il ne voyait pas grand-chose de ce qu’il se passait devant lui.

La veille, on était arrivé au crépuscule et on n’avait vu de la ville qu’une tâche blanchâtre qui s’estompait dans l’obscurité. Il y avait eu un incident. Un homme, qui se tenait dès qu’il le pouvait à l’écart du groupe, avait profité du relâchement de la discipline pour sauter du bord. Personne ne s’était soucié de ce bruit d’ancre à l’eau, jusqu’à ce qu’un des gendarmes revienne en gueulant pour que les autres le suivent. Quatre fusils et bicornes avaient cavalé jusqu’à la poupe en jouant de la crosse dans la foule rétive. Pendant ce temps, le gars dans l’eau, un maçon de la Creuse, s’éloignait du bateau en nageant le plus possible sous l’eau, sourd aux sommations. « On dirait un phoque » avait dit un marin, il l’expliqua aux autres : parce seule la tête apparaissait de temps à autre ; Dubois, lui, avait plutôt pensé à une taupe (il n’avait jamais vu de phoque).

Vas-y bonhomme ! On les avait vus, les coudes sur le bastingage, tirer comme à la foire et se donner du commentaire badin. Trois charges chacun, quinze éclairs bleutés dans la nuit qui tombe. Sur la mer étale flaque d’argent sous la lune, cette tête d’homme, comme une incongruité, fait son travail de petit point noir, surgissant de ci de là, toujours plus loin.

Aux quatre autres « Je l’ai eu, je te dis, je l’ai eu ! Il a pas plongé comme les autres fois. » Puis la glorieuse crapule s’inquiète pour son tableau de chasse, se retourne et s’adresse au galon :  » Je l’ai eu, sergent, je suis sûr que je l’ai eu ! Ai-je l’autorisation de mettre une barque à l’eau pour aller le rechercher ?
– À cette distance, c’est inutile. Bast, les crabes feront le nécessaire si nous ne trouvons pas son corps sur la plage, demain matin… Il faut surtout éviter que cela se reproduise… Allez, foutez-moi toute cette canaille en cale. Et mettez-y leur les fers, ce sera de la besogne en moins pour demain ». Puis, la main sur l’épaule du gendarme : joli tir, Partricot, joli tir ! Je pense aussi que vous l’avez eu.
– Merci sergent ! (sourire de faux modeste).
– Allez Partricot, foutez-moi ça en cale. Moi, je vais faire mon rapport. Demain nous accostons, je ne suis pas fâché d’être débarrassé de ces canailles. « 

La suite demain, dans un nouvel épisode.