Chapitre trois : Ce que l’on peut avec ce que l’on a (4/5)

Quatrième épisode

alger, destination finale

Le lendemain, Louis Pujols commença le ramassage. Dans le sens inverse de sa tournée promotionnelle, il s’arrêta à nouveau dans quelques uns des petits ports de la côte catalane. C’était une activité qu’il avait toujours détestée et qu’il effectuait le visage fermé. Lui qui ne s’était jamais senti d’aucun lieu, il ne comprenait pas l’attachement viscéral que les paysans éprouvaient pour leur terre de misère. Il voyait monter les passagers sans mot dire, comme si la gravité de la situation les condamnait au silence. Les bagages, fort maigres au demeurant, passaient de main en main et finissaient sous les menuiseries de la proue et de la poupe. Lorsque ces espaces furent pleins, les gens s’assirent sur leurs paquets.

Comme de coutume, l’ambiance fut morne. La plupart des exilés volontaires cachaient mal leur désarroi, certains pleuraient, d’autres, le menton posé sur leurs mains en coupelle, regardaient s’éloigner les côtes ibériques sans dire un mot. Personne ne l’eût sans doute toléré, d’ailleurs, même les quelques enfants restaient silencieux. Le soleil tapait dur et les boissons étaient rationnées, ce qui ajouta à l’inconfort. Chaque mouvement provoquait une onde parmi tous les passagers, tant les pauvres gens manquaient d’espace. Bientôt; lorsque certains d’entre eux durent faire leurs besoins ou furent malades, la promiscuité devint plus gênante encore.

Enfin, après de très longues heures de navigation, l’île de Minorque apparut aux voyageurs. C’est là, à Port-Mahon, que les malheureux changèrent d’embarcation et montèrent dans une grosse barque de pêche. D’autres migrants les y attendaient. Ce bateau était infiniment moins rapide et élégant que le cotre de Pujols, mais convenait mieux pour la traversée de la Méditerranée occidentale. L’atmosphère générale s’adoucit un peu.

On entama la traversée au crépuscule. Pour une mission dont il ne dit rien, Pujols laissa le cotre aux mains de son complice et monta également à bord. Le capitaine lui céda l’usage de sa propre cabine, presque entièrement invisible sous le mât principal, et s’en alla coucher sur le pont, au milieu des émigrants. Pour la première fois depuis longtemps, Pujols dormit du sommeil du juste. Libéré de ses attaches, il dérivait au gré de courants oniriques. Dans sa cabine, ce n’était pas le grincement des gréements qui accompagnaient ses rêves paisibles, mais bien le crépitement du brasier qu’il avait laissé derrière lui, au pays de son enfance.

Après une journée et une nuit en mer, le matin du deuxième jour, une ligne verte vint barrer l’horizon bleu, on se passa le mot qu’il s’agissait des montagnes d’Algérie ; l’heure était à l’espérance. Certains des passagers s’agenouillèrent et, ayant joint les mains, s’abîmèrent dans de longues et silencieuses prières. Rien n’énervait plus Pujols que ce genre de simagrées, qui lui rappelaient sa mère.

La suite demain, dans le prochain épisode