Chapitre six : Conquis par sa conquête (2/5)

Deuxième épisode

Sous le ciel étoilé d’Afrique

Lantrac a tort de s’inquiéter de son sort. La chance veille sur lui et il est versé dans le corps des zouaves, avec un avancement en grade : le voilà maintenant chef de bataillon.

On lui présente ses zouaves : c’est un assemblage hétéroclite d’anciens soldats de la Régence, de membres de la communauté juive d’Alger et de ce que la France a produit de plus douteux en termes militaires, des tièdes patriotes attirés dans la Régence par l’appât du gain et qui n’ont pu trouver d’autre moyen de survivre que de s’engager dans l’armée ; Lantrac se demande bien ce qu’il peut demander à un tel ramassis de bras cassés, qui ne vaut guère mieux que la légion étrangère.

Il ne tarde pas à le découvrir, car ses hommes servent à tous les coups de main. Au début, il est vrai qu’on se cantonne à des missions sans gloire mais, petit à petit, on s’aventure hors les murailles et, façon gangrène, on s’étend dans l’arrière-pays. C’est une contrée montagneuse envoûtante par sa rudesse, où l’ombre est précieuse et dont les rares arbres ne vont pas sans lui rappeler les formes tourmentées de ses pommiers ardennais, chétifs et tortueux. Mussé de Lantrac les décrit à son frère resté à Pourru-au-Bois, avec lequel il entretient le seul lien qui l’attache encore au pays.

C’est qu’il écrit, le fringant militaire. Il noircit des pages et des pages d’une écriture fine et serrée, délicatement ornée de déliés qui ressemblent à des arabesques. Pour tromper son ennui et se rendre compte sans doute, au fil des pages de sa correspondance, qu’il tombe sous le charme de ce pays à la fois austère et envoûtant, aux crépuscules brefs et aux forts parfums, où la violence règne en maître. Biberonné au lait de l’honneur et du respect à la parole donnée, Lantrac apprécie de plus en plus la compagnie de ses soldats musulmans, qui semblent ne faire qu’un avec le ciel étoilé des montagnes d’Algérie. Il abandonne le confort (tout relatif) de sa tente réglementaire, couche dans un gourbi et, par coquetterie autant que par goût de la nouveauté, troque le sabre droit pour un yatagan courbé pris à un cavalier ennemi. À la fin de l’année 1839, il participe avec ses hommes à la provocation des Portes de Fer. L’armée, s’appuyant sur des complicités locales, trahit ses engagements et franchit la frontière. L’émir Abdel-Kader n’a d’autre choix que de reprendre la guerre. Il a eu le temps de moderniser son armée et de semer les graines d’un état moderne sur le territoire qu’il contrôle, mais face à la force française, il ne peut faire que bonne figure – surtout que l’ennemi ne fait pas de quartiers. On passe sur le déroulé des opérations, pourtant entamées par un soulèvement général et quelques succès tactiques, pour constater l’échec de l’émir, dont la smalah – qui n’est rien de moins que sa capitale itinérante – est prise au terme d’une reconnaissance heureuse à laquelle Lantrac prend une glorieuse part, le 16 mai 1843.

Apprenant que l’armée renonce à la mixité en cours dans le corps des zouaves, il demande le commandement d’une unité de tirailleurs algériens, que l’on n’appelle pas encore turcos. Cela lui est refusé et Lantrac est appelé à Alger en mai 1844. Une mission l’y attend, mais il ne sait pas laquelle.

La suite demain, dans un nouvel épisode.