La fin des combattants ou la mort des quatre fils Aymon

Cessons un peu mes frères de taper comme des sourds :
À mes tempes qui bourdonnent résonnent les tambours.
La vigueur m’abandonne, mes forces prennent congé,
Mon sang sèche sur l’homme que je viens d’égorger.
Moi qui toisais la vie bardé de certitudes,
J’ai des doutes à présent et telle la cistude,
Je veux garer ma tête pour mirer mon cerveau.
Mes frères ceci m’étreint à l’entrée du caveau :
Il leur montrait la plaine écarlate et poisseuse,
Où moissonnait naguère une toute autre faucheuse,
Cueillant le coquelicot et le bleuet joli
(Et son galant la chose au milieu des épis)…
Peuplée d’agonisants enchevêtrés aux morts,
De la plaine saccagée montait comme un remords.
Pensif – le soir tombait – chacun reprenait souffle ;
C’était l’heure où les braves regrettent leurs pantoufles,
Un ami sur l’ami doucement sanglotait.
Renaud voulut savoir pourquoi il se battait.  

Parla d’abord Guichard, le frère un peu balourd,
Et sa voix de rogomme lui sembla de velours.
Toujours mêmes renards ! Toujours mêmes alouettes !
Les gueux de Malvoisin incendieraient Louette,
Et l’on verrait les cerfs remplacés par les rennes,
Et par un autre nom on nommerait l’Ardenne,
L’ennemi n’est pas vaincu et toi tu t’interroges !
Est-ce ainsi que les lâches justifient qu’ils dérogent ?
La seule question qui compte, c’est quelle arme employer :
Il n’y a pas de naufrage tant qu’on n’est pas noyé.  

Bien dit, frérot vaillant, opina maître Alard.
Mais j’ajoute ceci : moi, je suis le rempart
De la foi. D’un impie, je fais quatre rondelles.
Que je le brûle tout vif ou que je l’écartèle,
Je suis la main du Dieu qui créa les merveilles,
Et je rêve d’une fin à son calvaire pareille,
Me menant à la mort elle seule à sa hauteur :
Un sommeil parfumé aux cent mille serviteurs,
Où je serai fêté pour les services rendus,
Et dans Sa grande lumière à mon Dieu confondu.  

Et puis le Richardet, cadet des quatre zigues,
Dit qu’il l’avait aimé comme elle dansait la gigue,
Qu’elle était belle et tendre et qu’ils s’étaient jurés
Un amour éternel et toujours partagé.
Or n’avait-il pas vu quand elle vit l’ennemi
Passer l’ombre fatale aux amants désunis ?
Il dit qu’il pardonnait à la belle inconstante,
Car elle était à lui, car c’était son amante,
Mais qu’il voulait occire l’amour déjà fané
Et ramener sa tête pour conclure l’hyménée.  

Renaud se sentait las. Mais vraiment convaincu
Par les propos foireux de ces trois trous du cul :
La patrie et l’autel et puis la jalousie ;
Il vit l’ultime charge comme un revenez-y
Des récits du passé, des légendes futures.
Il partit en hurlant à tuer sa monture
Des choses qu’on ne dit pas quand on est éduqué.
Ses frères le suivirent. L’ennemi estomaqué
N’eut pas le temps de fuir, étant à s’inquiéter
Des raisons de se battre en ce si bel été.