Chapitre deux : Sucer des cailloux (0/5)

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De Louis Pujols, à Alger, à sa mère restée au pays.

Mère adoré,

C’est Carles qui te lira la lettre car malheureusement mes affaires me retienne ici que s’est pitié. L’immeuble est tantot construit et comme je tai fait promesse il y a avec un appartement pour toi. Je ne le loue pas et si tu veut me rejoindre tu verra que tu sera bien. S’est pitié que tu ne sois pas à mes côté car tu verrais comme c’est une belle construction et tu serais fiere. Il y a quatre etages et on voit la mer avec le vent frais. Si tu voulais tu seras pres de moi et tu auras meme un domestique. Tu ne devras plus t’occuper de rien et tu pourrais manger des choses diférentes tout les jours meme que tu devras pas cuisiner. Je vais très-bien et si je veux je peux porter un nouveau chapeau et un costume tout les jours mais je ne le fais pas car je sais que tu ne serait pas daccord. C’est pitié que tu n’es pas a mes cotés et si tu veux tu peux venir avec Carles tout de suite sans attendre. Tu peux proposer des gens de t’accompagner comme ça tu te sentirait comme au pays. Tu peux venir avec des pays. S’est moi qui m’occupe de tout et personnes ne devra rien payer. Il y a un appartement pour toi au meme étage que le mien avec un balcon pour regarder la mer ce serait reposant vraiment tu devrait voir ça comme c’est beau.

J’ai spere que tu vat bien et que tu vat enfin me rejoindre. Il y a plein de pays ici et tout le monde va bien. On peut manger du poisson et meme de la viande. Les legumes et les fruit poussent bien et le climat ça ressemble a chez nous. Je voudrais que tu vienne ici pour voir ça si je peux je viens vite et je te prend avec moi. J’ai spere que tu voudras bien cette fois parce qu’il ny a plus personne au pays tout le monde est parti et il sont ici maintenant. Il disent que le pays maintenant s’est ici. Ils ont raison la terre est bonne et les affaires vont bien. Il faut aussi que je pense a marier. Il y a une Église donc tu seras contente. Mais il me faut une bonne femme et j’ai besoin de toi pour choisir une qui te ressemble. J’arretes parce que je vois bien que Carles fatigue a ecrire ce que je dis. Je lui dis de t’embrasser de ma part et que je te serre dans mes bras. J’ai spere que tu viendrat quand je viendrais te chercher. Je lui ai donné de l’argent mais il y a une partie que tu peux prendre pour manger ou tout ce que tu veux et si tu veux pendant que tu mattend que je vienne te chercher tu peux déja t’installer à Banyuls ou Cervère que tu n’aurait rien a faire que d’attendre que je vien te chercher. C’est moi qui signe la lettre tu peux voir la signature en dessous des ecritures. Je t’embrasse de la part de ton fils qui t’aime et qui voudrait que tu sois pres de moi. Porte toi bien comme moi et ne te fatigue pas on a tout ce qui faut. Je ne veux pas que tu t’inquiete mais je prefere que tu sois ici vite. Je vient au printemps le batiment se sera construit. Ton fils qui taime et qui t’embrasse.

Louis

Chapitre un : Sur les ruines (5/5)

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Cinquième épisode

Un retour précipité

C’est peu dire que Monsieur Tasson-Lavergne se cramponna durant tout le reste de la traversée. Livide, il resta presque tout le temps étendu dans sa couchette, incapable d’ingérer la moindre collation. Lui qui avait toujours voyagé en coche se prenait à regretter les cahots des routes poussiéreuses.

Au prix d’un effort surhumain, il avait fait une tentative sur le pont. Il était encombré de cordages, de tonneaux, de malles, de cages pleines d’animaux. Au milieu de ce capharnaüm, des passagers désargentés sommeillaient ou jouaient aux cartes, entravant son passage. Malgré l’air du large, une odeur pestilentielle flottait sur le bateau. Tasson-Lavergne avait vite rebroussé chemin et regagné sa cabine, comme un chameau marchant à l’amble.

Au troisième jour de son calvaire, comme il commençait à peine à s’accommoder, Monsieur Tasson-Lavergne posa le pied sur le sol d’Afrique. Sous un soleil de plomb, une chaleur de fournaise écrasait le panorama urbain, si bien qu’il ne vit du fabuleux paysage qui s’offrait à lui qu’un scintillement d’étincelles posé sur un décor flou, mité par l’assaut des mouches qui pullulaient dans le port. Le marchand en eut immédiatement trois ou quatre en bouche, qu’il recracha dans une moue de dégoût. Il jeta un œil autour de lui mais il n’aperçut pas de comité d’accueil.

Planté au milieu du quai, il fut bousculé par les grappes humaines que dégorgeait le ventre du Louxor. C’était à croire que personne ne faisait attention à lui, tant il était bousculé. Enfin, lorsque la cohue cessa, il aperçut, assis sur un enroulement de cordages, un homme qui portait l’uniforme de la Compagnie Marseillaise du Levant et des Colonies. Cet homme fut sommé de le conduire directement au chantier. Aussitôt dit, aussitôt fait : les deux hommes se mirent en route au grand soleil de midi, sous une chaleur écrasante. « Heureusement que nous ne sommes qu’au mois de mai, pensa le négociant, quel pays ! ».

Le malheureux marchand n’était pas au bout de ses déboires : sitôt arrivé sur le chantier, il fut saisi d’un tel coup de chaud qu’il ne fallut pas moins de quatre personnes pour l’éventer. On ne sut jamais exactement si c’était à cette insolation ou aux verres d’eau douteuse que Tasson-Lavergne dut les terribles maux de ventre dont il fut victime l’après-midi même, mais sa colique galopante justifia son rapatriement immédiat dans la métropole provençale.

Trois jours plus tard, Tasson-Lavergne était de retour à Marseille. Il fit appeler son commis le plus dégourdi et lui dit : «Monsieur Dejazet, vous partez pour l’Afrique. Vos gages sont doublés et vous aurez là-bas le gîte et le couvert. Vous aurez pour mission de faire construire le Grand Hôtel de France à Alger. C’est une entreprise importante. Il s’agit de montrer au monde ce qu’est la France, ce qu’elle y apporte et le rang qu’elle compte garder dans la contrée. Je me suis rendu sur place, tout vous y attend. Les fondations sont presque prêtes. Vous vous mettrez en contact avec les autorités dès votre arrivée. Vous partez dans la quinzaine ; l’inauguration du Grand Hôtel de France est prévue pour l’année prochaine. On vous donnera tout le numéraire et les instructions nécessaires à l’office. Vous ne serez pas économe au point d’oublier que la rapidité d’exécution est notre premier objectif. Le personnel suivra.»

La suite dès lundi, dans le prochain chapitre du Grand Hôtel de France à Alger. 

Chapitre un : Sur les ruines (4/5)

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Quatrième épisode

un bien beau bâtiment

De plus en plus exalté, Tasson-Lavergne brandissait les esquisses d’un bâtiment de style néoclassique, disposé légèrement en hauteur, comme posé sur une estrade. En réalité, c’était assez comique de le voir s’emballer, entre ses grands gestes amples et les brusques retours à ses feuillets, qu’il clouait à son petit bureau d’un index décidé.

Autant déstabilisé par les mouvements du bateau que ceux de son client, le matelot, qui faisait ce qu’il pouvait pour l’accompagner dans son enthousiasme, se pencha à son tour sur les plans du bâtiment. Il lui fallait bien ça pour y comprendre quelque chose.

L’entrée, accessible par un escalier de travertin blanc, était agrémentée d’un porche tétrastyle de style dorique, « assez vaste pour y caser toute une musique militaire », orné d’un fronton triangulaire « dont l’ornement rappellera, à la façon de la colonne trajane, les grandes heures de la conquête ».

À l’arrière de cette majestueuse protubérance, le corps du bâtiment se perçait sur toute la façade de longues portes-fenêtres aux croisillons blancs. Puis (feuillet suivant) s’ouvrait sur un spacieux vestibule aux carrelages en damier, par une grande porte à carreaux de verres à double battant.

Le matelot ne le savait pas mais rien de très original : du pur-jus néoclassique – de quoi faire le désespoir d’un amateur de courbes, de couleurs, de fantaisie enfin. Un bon architecte ne se devant pas d’être original ou créatif, celui-ci s’était contenté de dessiner ce qu’on lui avait commandé : un bâtiment bas du front, tout de pierre et de stuc, gris comme la pluie sur du pavé noir ; il n’y avait rien là des audaces gourmandes du Baroque ou des élévations harmonieuses de l’Art Déco, c’était moche en somme.

Tasson-Lavergne ne le voyait pas non plus. De surcroît, il ne s’intéressait à aucune des notices techniques qui agrémentaient les dessins. Il semblait emporté, projeté lui-même dans le vestibule du Grand Hôtel de France, dont il prononçait le nom avec une affectation de héraut. « Au bout, le grand escalier montera vers les chambres ; à droite, ce sera l’espace réservé au grand café et au fumoir ; à gauche, la salle de restaurant et la cuisine. Avec cela, deux étages – et la possibilité d’en adjoindre un supplémentaire quand le besoin s’en fera sentir -: le premier pour la clientèle, qui disposera là de tout le confort moderne, avec un lavabo privatif et un balcon lumineux ouvert sur la place dans chaque chambre, le second pour le personnel. »

Puis, comme s’il avait lui-même escaladé les marches du bâtiment, le bedonnant commanditaire s’arrêta essoufflé.

« Vous conviendrez qu’il s’agit là d’une entreprise propre à rehausser le prestige de notre beau pays, n’est ce pas ? Je gage qu’on en parlera jusqu’à Norent, euh, Norent, comment disiez-vous encore ?
– Nogent, Nogent-le-Rotrou… murmura le valet.
– C’est cela, Norent-le-Jotrou. Vous pouvez disposer maintenant, je suis fatigué et ce roulis finit par m’incommoder. »